La rencontre

Elle a eu lieu il y 29 ans. À peu près. Un soir aux alentours de 17h, je crois. J’étais frigorifiée, des collants roses et un tutu, une immense salle glacée. Du parquet. Un miroir grandiose. Des rideaux épais.

J’avançais timidement, du bout des pieds, j’ai regardé, à gauche, à droite, lorsqu’elle a déboulé telle une fusée, hurlant, riant, accrochée à une acolyte tout aussi délurée. Elles m’ont jeté un regard brillant en criant “Cours avec nous!” pour repartir de plus belle, traversant la salle à cloche-pied.

Je l’ai détestée. Et j’ai détesté cette aisance, ce naturel, mais surtout la légèreté avec laquelle elle faisait sien cet espace qui était pour moi comme un gouffre, à la fois attirant et pourtant si angoissant.

Du haut de mes 5 ans, j’ai pris mon courage à deux mains, l’air hautain que je maniais déjà si bien, et je me suis installée au centre de la salle. J’ai attendu le début de ce premier cours de danse avec toute la dignité dont mon petit corps d’alors était capable.

Finalement, Claire, notre professeur, est arrivée. Le piano a résonné, je me suis élancée avec avidité. Durant ces minutes qui s’envolaient, je l’ai totalement snobée. Elle était trop dissipée, décidément, et pour ma part, j’avais de bien plus vastes contrées à découvrir que de simples jeux malicieux.

Quelques mois plus tard, au printemps de cette année 1989, nous fêtions le bicentenaire de la Révolution. Je me souviens d’une salle municipale bondée, de bonnets phrygiens à volonté.

Mon école de danse participait à la fête, et nous allions tous fièrement, déguisés et cocardés. Solitaire, je regardais les enfants virevolter entre les chaises et les rangées, en serrant dans mes bras jusqu’à l’étouffer, ma poupée.

Elle s’est approchée. Elle m’a demandé de la lui prêter. Je me suis méfiée mais, son sourire charmeur, ses yeux espiègles, les éclats de rire alentours, l’envie de la connaître déjà peut-être, m’ont amenée à acquiescer. Elle l’a prise, l’a regardée, toisée, puis fait tomber. Cela n’a duré qu’un instant. Cette chute l’a faite rire, et m’a horrifiée. Je lui en ai profondément voulu, et je me suis promis que l’on ne m’y reprendrait plus.

Puis l’été est passé, les jours durant une éternité, s’étirant comme le temps sait si bien le faire lorsqu’on a 6 ans, laissant derrière lui les peintures, les jeux, les rêves escarpolés, les habitudes…

Le mois de septembre est arrivé et, avec lui, la tant redoutée Rentrée en CP. Dans cette nouvelle école, nous étions tous si petits et si perdus. Chacun s’accrochait à ses parents, tandis que nous nous dévisagions avec effroi. Jusqu’à l’appel.

Nous étions 50, ou 100, peut-être 1000 à mes yeux, tétanisés dans la cour de récréation. Les noms défilaient, les enfants s’avançaient pour se ranger deux par deux derrière cet instituteur qui leur apprendrait les vraies choses. Les grandes.

Elle était là, agrippée à son père, à quelques mètres de moi, m’observant  avec ce regard pétillant que dorénavant je lui verrais si souvent. Pour la première fois, je lui ai rendu ce regard. Et c’est ici que tout a commencé.

Notre enseignante, Madame Cahier (ça ne s’invente pas), nous a appelées : nous étions dans la même classe. Soulagement et apaisement : nous ne serions plus seules. Nous nous sommes donné la main au milieu de cette petite troupe d’enfants, sans dire un mot, mais vibrant toutes les deux au son des mêmes émotions, rassurées, comme on l’est auprès de quelqu’un qui nous est cher depuis des années. Nous sommes entrées dans la classe de La Grande École, celle qui allait nous forger, et devenir le terrain de jeu de notre si belle amitié.

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