4h30

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Il est 11H40. Ce matin a commencé comme tous les autres, aux alentours de 7h. Le premier sourire, le premier gazouilli, et juste à côté de moi, une petite main qui cherche, qui farfouille. Malgré la fatigue, et même embrumée par la fièvre (cher et long hiver…), mes yeux s’ouvrent, et une vague de douceur emporte tous mes espoirs de grasse matinée. Quelques minutes plus tard, des petits pas saccadés sur le parquet, une tornade déboule dans la chambre et saute sur le lit. Elles se regardent, elles rient. La journée peut commencer.

Je me lève et prépare le petit déjeuner, enjambe des livres pour enfants, une poupée abandonnée nonchalamment au milieu de l’entrée. Charles dort encore. Il a cette capacité à faire abstraction du bruit, des voix, de la lumière, que je n’ai pas. J’ai beau essayer, quand mes filles décident que le soleil s’est levé, mon corps se met à fonctionner sans que je puisse l’en empêcher. Je les prends dans mes bras, les dorlote, on cherche ensemble les chaussettes, la brosse à cheveux, “doudou violet” qui s’est encore carapaté cette nuit pour vivre sa vie rocambolesque de lapin ailé. Nous entamons un débat sur la pertinence de se lancer dans un atelier peinture de si bon matin, et choisissons finalement les gommettes et la patouille dans le lavabo de la salle de bain. Quoique nous fassions, comme chaque matin, tout à coup, il est déjà presque trop tard. Je m’anime, multiplie les allers-retours inutiles à la recherche d’une multitude de détails qui me paraissent essentiels dans l’instant. Il faut trouver les bonnets, les manteaux, les écharpes, les livres à rapporter à la bibliothèque, enfiler les chaussures (vingt doigts de pieds frétillants ça commence à chiffrer), regarder s’il y a des flaques au dehors et prévoir de perdre 10 min de plus sur le trajet s’il faut explorer chacune d’entre elles à l’aide des bottes de pluie. Nous partons ensuite pour la crèche, slalomant à contre-courant d’une nuée d’enfants se rendant à l’école, de l’autre côté de la rue.

Mais ce matin quelque chose change. Je ne dis pas au revoir à une, mais à deux petites bouilles roses. Le retour se fait plus léger. J’ai la chance de ne pas avoir à travailler cette année, je peux me consacrer à ma reprise d’études et à la rédaction de mon mémoire. Mais dans l’urgence, je ne le réalise pas, j’ai perdu l’habitude de n’être que moi. Je fonce faire des courses, tête baissée, je rentre, range l’appartement, je rêve de pouvoir me vautrer dans le canapé et regarder un film… Et sursaute tout à coup : pas de bruit ! Je me précipite dans la chambre afin de vérifier que personne n’ait avalé un légo, ou ne se soit pendu aux rideaux. Et là, je réalise qu’il n’y a… personne. Personne d’autre que moi. Depuis des semaines, pour ne pas dire des mois, cela ne m’est plus arrivé, tant et si bien que j’ai l’impression de perdre l’équilibre. Mon coeur peut ralentir, mes jambes s’immobilisent. Je regarde l’heure. Il est 11h40. Il me reste donc 4h30. 4h30 de précieuse solitude. Sensation incroyable de liberté. 4h30 sans personne pour me solliciter, 4h30 où chacun de mes gestes, chacune de mes pensées n’appartiendront qu’à moi. Je ne sais même plus par où commencer. Alors autant faire simple, pour le déjeuner, pas besoin de cuisiner, pas de légumes bio mixés en purée, ce sera un rendez-vous secret, juste moi et un chocolat au lait.

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