La mutation
Voilà, c’est fait.
Après des années d’attente et de prières éreintées auprès de la grande et souveraine Education Nationale, la nouvelle est tombée il y a maintenant quelques semaines : j’ai obtenu ma mutation, et dans la foulée, mon affectation dans une nouvelle école.
Je quitte donc le bastion des « jeunes » profs, hussards embrigadés dans les vastes contrées arides égrenant leur lot de bitume et de caténaires aux alentours de notre bonne vieille Paname, habilement surnommées REP (réseaux d’éducation prioritaire, pour les nons initiés), pour rejoindre la non moins stéréotypée population des « vieux » profs, parents et mariés, et qui ont donc assez de points (les FAMEUX) pour nidifier dans des terres prétendument plus hospitalières.
Là. Nous y sommes. Un département où le pourcentage d’arbres au mètre carré me donne des allergies démesurées, où le soleil pointe le bout de son nez sereinement, sans craindre une intempestive invasion nuageuse à la moindre bourrasque. Un département où il fait bon vivre, écouter les commerçants bavasser, demander une « poche » au supermarché. Un département à 1h de la mer Méditerrannée, 1h des Pyrénées, 2h de l’Océan. Le pied-à-terre idéal pour vivre la vie, la vraie, celle qui ne se compte pas en heures perdues à rêvasser dans les rames du RER B.
La nouvelle école
Et une école, pas vraiment en REP, mais en lisière… En centre-ville, certes, mais accolée à un microcosme que je reconnais, où trentenaires bobos cherchent désespérément un trois pièces abordable pour convoler, tout en croisant au marché les ouvriers parqués dans des barres d’immeubles aux peintures émiettées. Une école avec une équipe ancienne, entièrement féminine, bien rodée… Et des « individualités », comme me l’annonce avec prudence la Directrice (récemment nommée sur le poste) qui m’accueille une après-midi du mois de mai.
Ok, rien de nouveau sous le soleil, qu’il soit du Sud ou d’ailleurs, une école reste une école, un enseignant reste un enseignant : le jeu des personnalités exacerbées n’a rien d’inattendu.
Les nouveaux collègues
Je me rends donc à cette première réunion où je suis conviée, celle où l’on parlera des effectifs de l’an prochain, des classes à (se) répartir : la fameuse valse des chaises musicales, un peu grinçantes, un peu vermoulues, un peu bancales, n’attendant que la pichenette de trop pour voler en éclats. Cette réunion qui promet d’ores et déjà de révéler les animosités, les amertumes, les difficultés, les tensions : celle où toutes les rancœurs seront mises sur la table.
Mais je m’y rends le coeur léger, je suis prête, ce moment tant attendu est arrivé. J’entre la première, je m’assois. Mes futures collègues arrivent au compte goutte, interloquées, puis curieuses, de me voir ici, en ce jour de conseil des maîtres (oui, cela fait un peu Koh Lanta, il est vrai). Je me présente à plusieurs reprises, je souris, on me rend mes sourires, on s’affaire à côté de moi. Ca parle paperasse, sorties, PPRE (programme personnalisé de réussite éducative, vaste programme), ventoline perdue, activités de l’après-midi… Ca remplit des cahiers, ça coche des cases sur des listes sans fin…
Je suis soulagée, elles ont l’air jovial, bien que dans le stress de ce milieu de journée, bien que parlant de la voix forte et autoritaire que chaque enseignant, sans parfois s’en rendre compte, cultive un peu plus au fil des années. Les premières amitiés deviennent perceptibles, par les choix géographiques stratégiques et assumés autour de la grande tablée de la « salle des maîtres » (non, vraiment, il ne s’agit pas d’un scénario à la Tolkien).
Puis, sans crier gare, une question jaillit, me mettant la puce à l’oreille : « Mais pourquoi es-tu là, en fait ? ». Je réponds que nouvellement nommée, je viens me présenter, rencontrer les collègues, participer à cette réunion où doivent être abordées les questions d’effectifs et de répartition des cohortes en classes équilibrées en vue de la prochaine rentrée. « Tiens, pourtant ce n’est pas du tout l’ordre du jour… ». Je commence à sentir que ma présence n’est pas nécessairement bienvenue. Avec le sourire, mais avec fermeté, on me confirme que, visiblement, j’ai été mal informée. Soit.
La Directrice arrive enfin. Ou plus exactement, la Directrice arrive enfin dans ce qui va être pour elle une véritable arène.
La réunion commence
Les 10 minutes qui se déroulent ensuite ne méritent pas d’être détaillées. Seuls quelques mots, pourront vous donner un aperçu du sentiment général : malaise, agressivité, reproches, guerre des clans, affirmation de soi, rejet de la nouveauté (et de la pauvre PES – enseignante stagiaire – qui regarde ses pieds « Non, mais tu sais, ce n’est pas contre toi, vraiment, mais les PES, ça suffit, on en veut plus! »). Finalement, l’ordre du jour traitera des élèves en difficultés. Je m’éclipse, je reviendrai une prochaine fois.
Mes idéaux
Je suis arrivée ici conciliante, prête à faire des compromis, j’en ressors avec l’assurance que je dois avant tout me protéger. Est-cela, que l’on nomme une « équipe »?
Ma première réaction, à la sortie de cette réunion, est de me ruer sur mon clavier. J’ai besoin d’écrire, de partager.
J’ai mal à mon école. L’amertume, le malaise sont toujours là. Même 800 kms plus au sud, quatre an plus tard, l’hyperbolisme des caractères semble être la voix royale choisie pour se défendre contre l’agresseur (mais qui est-il, d’ailleurs, au juste ?).
Je repense au Québec, à Francine, l’enseignante qui m’avait accueillie en stage dans cette classe où primait la parole de l’élève.
Je repense à la force de mes élèves d’ULIS (Unité Locale d’Inclusion Scolaire) qui dégainaient leur carapace dans les couloirs du collège, se battant à chaque instant contre l’agressivité de leurs pairs, portant le lourd fardeau, la pancarte « handicap » sur leurs minces épaules.
Je repense à cette petite école de maternelle, au milieu d’une cité en plein Gennevilliers, à mes « jeunes » collègues, passionnés, respectueux et empathiques (c’est, finalement, assez rare pour être souligné). Cette petite école où l’on avait la légitimité de prendre le temps, de manipuler, de chercher à guider les élèves vers le chemin du sens, plus que celui de la quantité.
Je repense à ma désillusion, construite au fil des nombreux remplacements effectués.
Je repense à mes rêves (fous ?) d’une alternative pédagogique, à mon sentiment d’être plus à ma place auprès d’enfants handicapés, que l’on accepte cet que l’on accueille tels qu’ils sont, en s’efforçant de les mener individuellement là où ils peuvent, là où ils ont envie d’aller.
Je repense à cette inclination pour une pédagogie individualisée, respectueuse de l’humain, empathique, sans comptes à rendre ci ce n’est à eux : ces élèves… Ces élèves qui, au lieu de désunir la profession, devraient au contraire, nous rassembler.
Je me rappelle que chaque enseignant est seul dans sa classe. Que mes ambitions de classes ouvertes et partagées, de profs voguant au gré des besoins des élèves, n’est pour l’instant qu’une douce utopie.
Et j’ai peur. Je ne sais pas si je serai assez solide pour encaisser tant d’agressivité, tant de mal-être dans la pratique de mes collègues, tant de divisions. Et puis je relativise aussitôt : évidemment que j’y parviendrai. J’ai la chance d’avoir aujourd’hui le recul nécessaire, des projets variés, mon mari et mes filles, qui me permettront de ne pas oublier que la vie est AUSSI ailleurs que dans la classe. Après tout, ce n’est qu’un métier...
Comme une promesse que je m’adresse
J’aurai toujours ce regard que je souhaite le plus positif possible sur ces enfants, eux qui n’ont pas d’autre choix que celui d’être là et d’être élèves, de m’écouter parler, de me regarder m’empêtrer dans mes explications et mes « fiches de prep ». Ce regard bienveillant, moteur, qui leur permettra, je l’espère, de s’emparer eux-même de leurs apprentissages, par le biais des activités diverses et variées que je m’apprête à leur proposer.
Je ne suis pas dupe. La route sera longue, l’année éprouvante. Mon coeur est trop spongieux, trop utopiste sûrement, je rêverai très vite à autre chose qu’une course effrénée après des programmes scolaires trop chargés.
Le coeur un peu lourd, je vous donne rendez-vous dans quelques mois. Pour voir ce qu’il en est, pour voir comment j’arriverai à inscrire ma vision des choses dans une école de la république aux habitudes transmissives aussi ancrées. Et puis, après tout, nous ne sommes jamais à l’abris d’une bonne surprise ?
C’est donc sur ces mots, un peu rêches, mais également porteurs d’espoir (je le souhaite), que je vous envoie la bise, désabusée, mais pourtant militante et préparée.
Aux armes. Aux plumes. Aux rêves.
Sarah
Ca fait du bien de lire un professeur comme toi! Ca fait du bien, et ton combat n’est pas vain. Ce sont des professeurs comme toi qui m’ont marquee, donne envie d’apprendre, et de vouloir rendre le monde un peu meilleur 🙂
… si ce n’est pas indiscret, a quels niveaux preferes tu enseigner?
Merci pour ton message qui me redonne du baume au coeur ! Ce n’est pas vain, mais pas facile d’y croire tous les jours quand on a l’impression de se débattre seul dans son coin…
Et ta question n’est pas indiscrète, j’adore parler de mon métier 😉
Pour commencer, j’affectionne tout particulièrement la maternelle, pour la liberté, les manipulations, les yeux ébahis, la douceur, et le côté hyperactif aussi (changer d’activité tous les 1/4h maxi sous peine de voir sa classe imploser 😀 ). J’aime beaucoup varier les activités, le travail en petits groupes, utiliser le corps en mouvement (et surtout pas rester assis à table constamment! Le premier qui me demande s’il peut se lever s’attire inévitablement une belle blague devant toute la classe car OUIIIII on peut aller tailler son crayon ou chercher une règle, OUIIII on peut aller au coin arts créatifs ou bibliothèque si on a fini son travail, et sans me couper en levant le doigt 😉 !!! ).
Du coup, j’essaie de caler ma pratique sur ces mêmes idées quand je suis en primaire, même si les plus grands sont souvent très surpris au départ. J’aime bouger les tables de la classe en fonction de l’activité, aller observer à l’extérieur ce qui s’y passe, bousculer les codes, donner des responsabilités, travailler par projets… Mais pas évident à mettre en place quand on change souvent de classe, comme c’est souvent le cas en début de carrière (car cela nécessite plus d’investissement que d’ouvrir le manuel-page-27-Merci-exercice-3-c’est-parti).
Et sinon, j’ai travaillé 3 ans auprès d’enfants handicapés, et je crois que c’est là que je me sens le plus à ma place. Encore une fois pour la liberté, l’envie de se donner pour eux, sans jugement, les accepter tels qu’ils sont, les aider à croire en eux…
Je pense qu’en fait, quelle que soit la classe, on s’amuse (tu remarqueras, je n’appelle pas ça « travailler ») si on sait sortir de sa zone de confort et des sentiers battus, si on fait confiance aux élèves, et si on a pour premier objectif de les aider à avoir envie d’apprendre seuls, d’adopter un esprit critique et de savoir où trouver les informations qui les aideront à se construire leur propre savoir. Parce que nous ne serons pas toujours là, qu’ils seront les futurs citoyens, alors aimer l’école est déjà un bel objectif, si on arrive à l’atteindre.