Elle ne pleure que lorsqu’elle a mal

Un marron éclôt

 

Je tourne et retourne les mots dans ma tête. Je pense, je lis, je projette. J’ai cette chance incroyable d’être chez moi, un mardi midi, de pouvoir réfléchir à ce qui fera sens dans ma vie.

Je suis ici, chez moi, chez nous, dans cet amoncellement de briques et de bois, que nous avons choisi quand tu es née, toi. Ce lieu si imparfait, un peu étroit, mais avec une si belle vue sur les toits.

Si je regarde au Sud, le soleil m’aveugle. Sa lumière puissante inonde le salon, nous obligeant souvent à baisser les stores et à chuchoter, comme bercés par l’ombre chaude d’une journée d’été.

Si je regarde au Nord, les pieds sur le carrelage froid, j’aperçois des immeubles aux étages flirtant avec les nuages et, au delà, les platanes qui bordent le canal.

On regarde souvent au loin, mais on oublie parfois de toucher ce qui est à portée de nos doigts. Et bien avant cette marée de tuiles et de cheminées, il y a cette petite école, celle que tu as regardé avec avidité depuis tes 3 mois. Une petite école, où des enfants jouent, courent, sautent, crient et rient. Une petite école,  où aujourd’hui, toi aussi, tu découvres et tu vis.

Dans la cour de cette petite école, il y a un seul et unique marronnier, quelques marelles, quelques jeux, et des dessins à la craie. Quand vient le temps de reposer mes yeux brûlants de trop d’écrans, je m’approche à pas de loup de la fenêtre. Je ne te cherche jamais bien longtemps, tu es là, assise sous le marronnier. Tu sembles chercher un trésor, tu fouilles et tu farfouilles, te blottis entre ses racines, embrasse son tronc bien trop large pour toi.

Dans quelques mois, quelques semaines, nous allons quitter ce cocon qui t’a vue grandir. Je n’aurais plus accès à cette lucarne sur ta vie, qui à la fois m’éblouis, et me pèse par la frontière impénétrable qu’elle formalise. Je pressens déjà que tu te construis loin de moi, là-bas, tout en bas, sous le marronnier de cette petite école de quartier. Alors je profite de ces instants volés où je peux encore t’observer à la dérobée.

Je regarde ton petit visage pâle et décidé, et repense aux mots que ton enseignante a prononcés : « Tout va bien. Elle ne pleure que lorsqu’elle a mal ».

Elle ne pleure que lorsqu’elle a mal. Elle ne pleure que lorsqu’elle a mal.

Advienne que pourra, la vie te tend déjà les bras.

33 réflexions au sujet de « Elle ne pleure que lorsqu’elle a mal »

    1. Je t’avoue que je suis rassurée, en un sens, de perdre cette lucarne sur sa vie… Qui est aussi un petit voile sur sa liberté ;). Les laisser s’envoler, ça commence par ça, non ? Bises

  1. Très joli, très touchant <3
    ça me fait penser à ces brefs instants, quand je récupère Cosminou à la crèche. Ce petit laps de temps où je peux l'observer avant qu'il ne m'ait encore aperçue…

    1. Oh oui… Je fais pareil avec la deuz, je me cache derrière la baie vitrée, le temps de la voir passer en courant et renverser un congénère pour lui piquer le camion à roulettes :D. Classe… (c’est mignon ça comme surnom Cosminou 😉 )

  2. Superbe comme toujours !! On dirait presque un poème 🙂 J’aimerai bien aussi pouvoir les espionner de temps en temps … Mais je crois que j’aurai trop souvent envie de voler vers lui alors j’évite et je le laisse vivre sa vie ! Heureusement il nous reste encore quelques années où le gros de celle-ci se déroulera avec nous, profitons en !

    1. Tu as raison, ça passe tellement vite… À peine remis de la tornade des premiers mois, on les voit s’autonomiser à petits pas. Alors profitons, profitons ! Et un peu de voyeurisme ne fait pas de mal hehe 😉

  3. Oooh… quand j’arrive en RER à ma station, le train passe juste devant le jardin de la crèche… et à chaque fois je regarde si je peux reconnaître ma fille… alors que je la récupère quelques minutes plus tard à peine ! ^^ 🙂

    Très doux comme texte, et super émouvant !

  4. Oh que j’ai aimé cet article. Il m’émeut énormément. Ma fille est au même stade que la tienne… mais je n’ai pas cette lucarne sur sa vie.
    Merci beaucoup pour ce magnifique billet !

    1. Merci Cécile pour ces mots si doux ! Je suis tellement heureuse d’avoir cette lucarne aujourd’hui, et tellement soulagée de lui rendre bientôt sa complète intimité… 😉

  5. Que c’est joliment écrit ! La future école de Coquillette n’est qu’a quelques pas de la maison, j’entend rire les enfants quand vient le temps de la récré. C’est étrange de me dire que bientôt ma petite louloute rira la bas ☺️

  6. Il y a un petit chemin qui longe l’école du Mistouflon et parfois, a travers un petit grillage au loin a l’heure de la récré, je passe par là pour l’apercevoir foncer a tombeau ouvert avec une trotinette ou un vieux velo. Ce sont des petits instants si précieux et que tu décris si bien

    1. Oh comme je t’imagine ! C’est fou comme ces moments où on peut observer une partie de leurs jeux sont intenses, si doux et si fragiles à fois… Cela me manquera c’est certain :). Merci pour ton commentaire, bises.

  7. Quelle émotion… Encore une fois, j’adore…
    Quelle chance à vrai dire d’avoir pu jouer la petite souris, des fois je me demande comment évolue ma Chouquette dans sa cour d’école…j’ai eu la chance de l’accompagner hier en sortie scolaire, et de pouvoir le voir justement, c’était mignon, c’était bon.

    1. C’est une chance, et à la fois, je crois que je vais aussi apprécier laisser sa part de mystère, son petit monde rien qu’à elle… Mais je vais demander un abonnement aux futurs habitants pour pouvoir faire pareil avec la 2ème dans un an !!! 😀 Les sorties scolaires, c’est top, mais tellement crevant ! Bravo à toi pour ton dévouement 😉

Laisser un commentaire