Celle qui me hante…

Notre histoire a commencé il y a… Pffff… 20 ans, déjà.

Lorsque j’y pense, j’en ai le vertige. Je n’ai encore jamais osé parler de notre relation à qui que ce soit, si intense, si présente dans mon ventre, encore, soit-elle. Mais cycliquement, elle revient habiter mon corps et mes pensées. Comme ce matin. Comme souvent, d’ailleurs, ces derniers temps.

Lycéenne et sac à dos

Nous nous sommes rencontrées un après-midi printanier, dans la cour du lycée.

Nous nous cotoyions depuis un certain temps déjà, mais ne nous étions jamais intéressées l’une à l’autre, allez savoir pourquoi. Jusqu’à ce jour si particulier où nos routes se sont croisées. Quelques fractions de secondes, juste assez pour que tu me laisses une très mauvaise impression. Je ne savais définir pourquoi tu m’avais mise si mal à l’aise, j’essayais de ne pas trop y penser, mais il me fut impossible de me concentrer sur quoi que ce soit pour le reste de la journée.

Les semaines passèrent, les jours de pluie cédant peu à peu la place à de longues après-midi ensoleillées. Nous révisions le bac de français, et je m’asseyais régulièrement avec mes amis sur un coin de pelouse au fond de la cour. Le soleil brûlait nos épaules, nos fiches glissaient entre nos doigts, nous refaisions le monde à coup de Duras et de Queneau. Nous séchions souvent, pour réviser parait-il, le temps n’existait pas, nous avions 16 ans en somme, et tant à découvrir.

Livres et révisions du bac

Je t’avais oubliée, même s’il m’arrivait de me retrouver régulièrement dans ton sillon au détour d’une allée.

Tu voguais de groupe en groupe, mais suite à cette fort mauvaise première impression, je ne t’accordais aucune attention. Jusqu’à ce moment si particulier où, sans crier gare, je t’ai regardée. Tu étais là, juste à côté de moi, sur le carré verdoyant qui nous servait de refuge derrière le lycée. Cette nouvelle rencontre fut brutale, intense, non préméditée. Je commençais à percevoir en toi cette douce saveur qui ne me quitterai plus. Ta douceur, ton piquant, ton odeur, j’étais comme subjuguée.

Ce jour-là, je rentrai chez moi le ventre noué, mais le coeur léger. Que m’arrivait-il ? Pourquoi débarquais tu ainsi, tout à coup dans ma vie ? Il me fut alors impossible de t’oublier.

Bravant les interdits, nous commençâmes à nous cacher pour nous retrouver.

Mes lèvres brûlantes te goutaient chaque matin avec avidité. Nous n’arrivions plus à nous lâcher, à chaque interclasse, nous courions vers cet endroit qui n’appartenait qu’à nous. Nos retrouvailles rythmaient mes journées, mais les soirées étaient interminables. Je rêvais de toi la nuit, et n’attendais qu’une seule chose : reprendre le chemin du lycée, toujours un peu plus tôt, pour mieux te retrouver.

Lycéennes qui révisent leur bac allongées devant une fenêtre

De cette idylle adolescente, je ne garde que peu de souvenirs.

Quelques sentiments fugaces, passionnés, quelques tragédies propres à nos jeunes années. Nous nous sommes aimées, cela est certain, sans culpabilité, sans penser à demain, comme une évidence, comme un songe éveillé.

Puis chacune a pris sa route. J’ai déménagé vers le sud de la France, me suis fait de nouveaux amis, de nouveaux amours. Tu étais là, quelque part enfouie en moi, mais je ne pensais plus à toi. Quand nous étions ensemble, je te touchais sans même te sentir, tu étais devenu une ombre qui m’accompagne sans que je ne puisse plus la saisir.

Et un jour j’ai décidé de tout arrêter.

De passer à autre chose, de grandir un peu. Pendant près de deux ans, je t’ai repoussée, au départ avec douleur, puis très vite avec mépris. Tu n’avais pas su changer, tu restais la même tandis que j’avais de nouveaux projets, de nouvelles envies.

Puis la rechute. Les retrouvailles fébriles sans se promettre quoi que ce soit. La passion qui renaît, la fusion qui s’installe à nouveau. Le malaise de savoir que quoi que nous fassions, tout ceci resterait voué à l’échec. Mais se donner pourtant, profiter de chaque instant.

Une femme effacée derrière de la fumée

Pendant près de 10 ans, nous vécurent cette schizophrénie qui nous empêchait d’avancer.

Pendant 10 années, nous vécurent parfois l’une pour l’autre, parfois éloignées, jamais apaisées.

Jusqu’à ce jour où j’ai rencontré celui qui deviendrait mon mari. Mais surtout, quelques semaines plus tard, ce jour où un petit être décida d’élire domicile en moi. Je savais bien que ce moment arriverait, qu’il nous faudrait accepter cette déchirure inévitable. Dans ce nouveau monde que je construisais à trois, il n’y avait plus de place pour toi.

Je n’ai pas osé en parler, mais il m’est arrivé, parfois, de retourner vers elle. De me réchauffer à ses côtés quand le quotidien était trop étouffant, quand j’avais besoin de respirer à plein poumons pour ne pas sombrer dans mon quotidien de maman. Je n’en ressens aucune culpabilité, ni envers elle à qui je n’ai jamais rien promis, ni envers moi.

Le temps a passé, et je crois pouvoir dire qu’aujourd’hui les sentiments ambivalents ont laissé place à plus de sérénité.

J’ai appris à accepter cette passion animale, à la dompter quand il le fallait, à lui céder aussi, malgré moi.

Certains jours sont plus faciles que d’autres, je peux même dire sans me mentir qu’il m’arrive de l’oublier pendant des mois. Mais ce matin, sous la pluie, après avoir déposé mes enfants, je pense à elle, je pense à nous, à notre histoire chaotique qui me hante depuis maintenant 20 ans.

Je ferme les yeux, j’inspire profondément, je sens une bouffée m’envahir, et mes poumons vibrer…

Ma douce amie, mon bel amour, chère Nicotine…

Sache que malgré tout, quoi qu’il en coûte ou qu’il en soit, tu es et resteras, pour toujours ancrée en moi.

Une femme fume une cigarette

22 réflexions au sujet de « Celle qui me hante… »

  1. Oh my god tu m’as tellement enivrée que j’ai vraiment cru que tu parlais de quelqu’un ????… tu écris beaucoup trop bien j’espère que dans ton prochain article tu m’emmèneras Encore très loin :* je n’ai jamais été très accroc à Elle… mais en ce moment j’en ai besoin, sûrement un stress passager, je sais que ça me passera…

  2. Très belle idée de texte 🙂 . Et comme je te comprends ! Je partage ta nostalgie… De mon coté cependant je suis depuis déjà huit ans totalement « abstinente ». Mais ca me fait toujours envie… Je dis souvent que je recommencerai à fumer à 80 ans, pour rire – ou pas. Tu arrives de ton coté à ne pas retomber dans l habitude ? Je ne crois pas que je serais assez forte pour ne fumer qu une cigarette par semaine par exemple. Accroc un jour, accroc toujours…

    1. J’ai des périodes où ça revient (bizarrement en cas de stress ou de périodes intenses niveau boulot…), ça dure souvent plusieurs mois, mais j’arrive à m’en défaire parfois, et l’abstinence reprend le dessus. Cela dit, ça ne m’empêche pas de jalouser ceux qui sortent fumer un verre à la main lors des soirées, et puis ça passe… Et si ça ne passe pas je lâche du lest.
      J’ai cette « chance » au final d’avoir vécu plusieurs allers-retours, mais plus jamais de moments à fumer un à deux paquet par jour comme à mes débuts. Mais bon, l’avenir reste incertain je crois, mieux vaut rester prudents car c’est une addiction que l’on conserve à vie. Aller pour nos 80 ans on fête ça ;).

  3. Juste quelques années avec elle et pourtant j’ai l impression qu’elle est toute proche… au travail L envie de me mettre au soleil et d’en « griller une » , me poser sur ma terrasse avec des amis du rosé de la bière et une petite dose de nicotine… Elle est synonyme de « pause » de détente chez moi… J’aimerais être de celle qui en grille une et qui ne ressentent pas le besoin d’en rallumer une autre, je deviens trop vite dépendante, accros, alors je la fuis et je regarde jalouse ceux qui en grille une…

    1. J’ai longtemps pensé que je n’étais pas si accro, que c’était juste une « pause », comme tu dis… Mais force est de constater que les années passent et que lors des moments de faiblesse (surtout rush au travail, ça ne pardonne pas), l’envie insidieuse refait surface. Courage !!

  4. Juste WOW. Très belle comparaison entre l’addiction que nous procure une personne et celle que nous procure la nicotine, ainsi que la place énorme que cette dernière peut prendre !

  5. Pendant longtemps je l’ai considérée comme ma meilleure amie, ma béquille ; elle qui finalement me tenait tout à fait prisonnière. J’ai été une très grosse fumeuse, plusieurs arrêts dont un de presque 2 ans n’ont pas eu raison de mon addiction. Il a fallu que je tombe enceinte pour arrêter définitivement. Jamais repris, ça fera bientôt 6 ans. Mon inconscient a probablement été vacciné contre la clope grâce (si on peut dire) à ce qui est arrivé à ma mère, mais depuis je n’ai plus jamais eu aucune pensée ou nostalgie pour elle ! Au début il m’arrivait de tirer sur une clope lors de mes soirées arrosées (devenues rares qui plus est) mais finalement je n’y ai jamais retrouvé aucun plaisir. J’ai même développé une réelle aversion pour l’odeur du tabac. Et franchement je suis bien contente d’être à nouveau tout à fait libre, car même pendant mon long arrêt je me souviens que je rêvais souvent de fumer, c’est vrai que c’est une relation qui pourrait s’apparenter à une relation amoureuse finalement^^ Mais je crois qu’en ce qui me concerne, la page est bien tournée (j’espère ;-)), ça viendra surement pour toi aussi !

    1. Ça fait du bien de te lire… Car de mon côté je ne sais pas si je serai un jour réellement vaccinée. La mère d’un ami, la soixantaine bien entamée, m’a avoué il y a peu que 27 ans après avoir arrêté, elle se sentait toujours « fumeuse qui a arrêté », et que le gouffre lui paraissait souvent bien proche. Je ne suis pas certaine d’être aussi accro, mais cependant je remarque que dès le moindre coup de stress, les grognements dans le ventre reprennent de plus belle. Et ouf pour les soirées arrosées, moi aussi elles sont plutôt rares, sinon je craindrais de succomber… Affaire à suivre avec les premières bières en terrasse qui ne devraient plus tarder !

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