La convalescence de la petite enfance

Ce matin, je marche à ses côtés. Sa grande soeur est à l’école, tandis qu’elle trottine doucement le nez en avant.

Fillette devant un tag de coeur qui s'envole street art à Toulouse

Je marche, mes pieds me portent et je la regarde rêver, penser, s’arrêter, repartir de plus belle. En ce début de journée de mois de mai, le ciel est clair, les premiers rayons de soleil orangés. Il fait doux, tout est calme.

Lorsqu’entre deux immeubles une lueur nous frappe, elle se retourne vers moi pour me dire « Il y a du soleil, Maman. Pourquoi là-bas il n’y avait pas de soleil ? ». Ses yeux brillent. Ces deux petites fenêtres ouvertes sur son coeur m’éblouissent et me donnent le tournis. Je sais que derrière elles se cache déjà tout un monde qui ne m’appartient pas.

Je marche auprès d’elle, mais je ne suis presque pas là. Je repense aux cinq années qui viennent de s’écouler. Je repense à la tempête, à l’amour, à la douleur, à la peur. Je repense à toute cette urgence, toutes ces heures, ces nuits à prier la Terre pour pouvoir fermer les yeux ne serait-ce que quelques secondes. Ces nuits et ces jours, la fatigue ancrée au corps, ce corps si meurtri, gonflé, oublié.

J’ai attendu ce moment avec tant d’impatience. Ce moment où elles seraient enfin à mes côtés, et plus dans mes bras. Ce moment où elles me diraient leurs différences, leurs envies et leurs colères. Ce moment où je retrouverais cette autre moi. Celle que je connaissais si bien, et qui m’a regardée pleurer mon épuisement et ma solitude sans oser s’en mêler.

Ce matin, je marche à ses côtés. Sa grande soeur est à l’école, et dans quelques minutes, nous arriverons dans ce petit recoin de monde où ses amis l’attendent elle aussi. Pour jouer à la dinette, à la trottinette. Des amis qu’elle s’est choisis. Des amis avec qui, loin de moi, elle partagera cette belle journée ensoleillée.

Alors je marche, lentement, le coeur vide et les bras ballants. L’esprit libre et le ventre vibrant. On parle beaucoup de la grossesse, de l’allaitement, des premiers mois, mais que fait-on de notre esprit de femme une fois notre rôle nourricier évaporé ? Mis en sourdine, relégué aux archives.

Face à ce tournant qui devrait m’apporter de l’apaisement, je sens au contraire toutes mes fondations s’écrouler. Je sens peu à peu des cris transpercer mes tympans, m’arracher ma douceur, brûler mes yeux et mon front. Elle est bien là, cette fichue convalescence. Elle arrive, il faudra bien l’apprivoiser. Réapprendre à vivre, réapprendre à s’asseoir, réapprendre à penser à soi.

Mais aussi apprendre à les aimer sans les étouffer. Apprendre à les aimer sans les laisser, elles aussi, m’étouffer. Être cette femme, celle que je leur souhaite de devenir un jour. Une femme heureuse, passionnée, vivante. Oui, vivante.

Cinq ans de Petite Enfance. C’était long et tellement rapide à la fois.

Alors même si en ce moment je sombre, je cherche la lumière, je perds pieds, je sais que c’est pour ensuite mieux m’envoler.

16 réflexions au sujet de « La convalescence de la petite enfance »

  1. Il faut garder de beaux souvenirs et être heureuse de voir ses enfants grandir et devenir des êtres à part entière et unique ! En tout cas c’est ce que je me dis pour me préparer à ce que tu as très bien décris ici. (Mon bibou n’a que 7 mois et c’est le premier, ça va je ne me mets pas la pression tout de suite !! Haha)
    J’ai adoré repasser sur ton blog, c’est toujours comme une genre de bulle apaisante chez toi 🙂
    À très viiite!!

    1. Oh oui il te reste un petit bout de chemin à parcourir d’ici là ;). Mais finalement, on le répète beaucoup, mais c’est vrai : ça passe vite au final. Bon, en revanche, le retour en mode nourrisson cette nuit de la bientôt 3 ans qui a fait un cauchemar et ne veut dormir QUE dans tes bras de 0h40 à 7h hum hum… Ça remet les idées au clair haha ! En tous cas, merci pour ton si gentil message, ça fait chaud au coeur ! Bonne fin de journée, Bises

  2. Oui….c’est très juste.
    Il y a un parfum de nostalgie et la peur de l’inconnu. Un renoncement voire un deuil a faire. Du petit dernier qui ne sera pas. Se dire que c’est passé trop vite qu’on n’en a pas assez profité. Mais la période qui s’annonce sera riche aussi. Et enfin avoir peut être du temps pour soi.

    1. Tu vois c’est marrant, moi j’ai toujours vécu la deuxième comme la dernière, grossesse et premiers mois compris. Je savais que je voulais profiter, et je l’ai fait. Mais le vertige vient surtout de réaliser combien on a pu se mettre de côté pendant cette parenthèse, qui comme tu le dis passe si vite ! Alors comment réussir à profiter à nouveau de soi, de ce temps, de ces envies qui renaissent… Ne trouve pas-t-on la l’une des amorces de la crise de la quarantaine ? 😀

    1. Je crois qu’on essaie de trouver des amis dans le même état d’esprit pour sortir boire des coups en terrasse et aller à des expos :D. Mais bon, pas évident d’en trouver qui ne jonglent pas eux aussi avec les couches ;).

  3. J’ai envie de te prendre dans mes bras et te faire un gros bisous tellement tu traduis mes pensées actuelles ! A la croisée des chemins, et je ne sais pas encore lequel je prends – peut être que la vie se chargera de décider pour moi 😉
    Merci Sarah tu es vraiment vraiment une source d’inspiration et d’admiration inépuisable. <3 (cœur avec les doigts) (ok j'arrête…)

      1. Dur, violent, mais si exaltant aussi… Je viens de faire un détour énorme en vélo en rentrant du boulot, repasser devant toutes ces terrasses qui m’ont connue ennivrée et insouciante il n’y a pas si longtemps… 😉

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